La
diagonale des fous
12° édition,22-23-24
octobre 2004
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La course : Le récit de Philippe
Grâce à votre générosité et à
votre soutien, deux enfants vont pouvoir être sauvés ! Un troisième, Rony,
enfant irakien, a retrouvé sa famille avec un cœur tout neuf en juin dernier. Ce
fut le premier enfant à bénéficier de vos dons pour l’édition 2004 de « La
diagonale des fous ». Lors de l’opération « Un Cœur à battre 2002 », vous aviez
déjà permis à Mehdi (Algérie) et Fatoumata (Mali) de prendre un nouveau départ
dans une vie qui leur tend désormais les bras.
Je suis très ému de vous remercier par ce compte rendu sportif et financier.
Celles et ceux qui ont été à mes côtés lors de l’édition 2002 ont une nouvelle
fois répondu présent cette année. Ça fait vraiment chaud au cœur d’être soutenu
à ce point ! Merci également à toutes ces personnes, et elles sont nombreuses,
qui m’ont rejoint en 2004, de France, d’Outre-Mer et même de l’étranger ! C’est
ça la magie d’Internet ! Aux commandes de ce magnifique site coeurderaider.org
qui m’a été concocté, Gilles, un ami avec un cœur gros comme ça et qui n’a pas
compté ses heures derrière les manettes…Cette grande nouveauté a permis de
rassembler davantage de parrainages, mais aussi de vivre avec moi le raid de La
Réunion en direct. Ce fut une expérience exceptionnelle ! Merci à toutes celles
et ceux qui m’ont envoyé des messages tout au long de la course. Avec cette
chaleur que vous m’avez transmise, bien plus efficace que les barres
énergétiques (!), les 140 kilomètres d’un raid particulièrement éprouvant ont
paru d’un coup bien plus supportables !...
Somme totale des dons
2004 : 19.298 €
euros
(dons 2002: 15.754 €)
Résultats sportif : 36 h
03 - 341éme / 2047)
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Photo de famille avec le Professeur LECA
Présidente du Mécénat et Rony un enfant Irakien
qui a déjà bénéficié de vos dons |
Un très beau témoignage coloré d’une
de mes jeunes supportrices !
C’est aussi ça l’esprit cœur de raider… |
A Louis, un homme de cœur
trop tôt disparu…
4h00 Vendredi 22 octobre - Saint Philippe (extrémité sud de l’île de La
Réunion)
Il règne une atmosphère de
feu en cette fraîche nuit tropicale sur le stade de St Philippe de La Réunion.
Le départ de la 12ème édition de la Diagonale des Fous va bientôt être donné. Je
regarde ma montre. L’attente ne sera plus très longue. Je sais pourtant que les
dernières minutes seront interminables… Dans un peu moins d’une heure, les
fauves qui se sont rassemblés dans l’arène du stade seront lâchés.
Une fois passé le sas de
contrôle, où le sac de chacun des concurrents est méticuleusement vérifié, les
coureurs se rapprochent de la banderole de départ. Il est 3h10. Bien que la
concentration soit très nettement perceptible sur le visage de chaque coureur,
l’ambiance musicale de l’organisation rythme les dernières minutes d’attente et
nous met déjà dans l’ambiance. Qu’il est bon de se retrouver « chez les
fous ». On dit des fous et des « timbrés » qu’ils osent tout et c’est
d’ailleurs à ça qu’on les reconnaît ! Eh bien je suis heureux de
« m’affranchir » de cette réplique de Bernard Blier dans les Tontons Flingueurs.
Je suis serein, presque euphorique. Il me tarde de relever mon défi « Un Cœur à
battre ». Je sais que je peux compter sur toutes ces personnes qui se sont
mobilisées avec beaucoup de gentillesse et de générosité pour me soutenir et
donner ainsi un nouveau départ dans la vie à trois enfants de Mécénat Chirurgie
Cardiaque. Ce départ, nous allons tous le prendre ensemble : c’est jour de
fête !
Je suis impatient de
contacter Gilles par téléphone pour lui donner quelques impressions à chaud
avant de gravir les pentes abruptes du volcan. Gilles est mon fil rouge qui
tiendra à jour le site internet en temps réel au fur et à mesure de ma
progression. Il est bientôt 4h00, soit 2h00 du matin à Paris. J’ignore s’il a
tout entendu tant la sono est puissante. Enfin, ce sera plus calme en haut du
volcan dans 5 heures !
Profil du raid 2002 assez comparable au tracé de
l’édition 2004

16.000m de dénivelé cumulé + et -
140.2 km de course
Ça y est ! Il ne reste plus
que trois minutes… Robert Chicaud, le directeur de course, nous rappelle les
règles de sécurité et le profil de la course. Nous sommes 2.047 à avoir passé le
sas de contrôle. Bientôt le coup de pistolet salvateur du starter….
Une horde de coureurs
s’engouffrera dans les rues étroites de Saint Philippe, pour disparaître plus
tard dans l’obscurité des champs de canne à sucre.
Le départ est donné à 4h00
précises. Tous les coureurs sont survoltés, pressés d’affronter la difficulté de
ce parcours réputé être l’un
des
plus difficiles à l’échelle internationale. Tout le monde cherche à se frayer un
chemin parmi le peloton qui va mettre un certain temps à s’étirer. C’est même un
peu chaud ! En effet, nous courons tous à la lueur de notre frontale et la
vapeur que nous dégageons masque bien souvent le faisceau lumineux de notre
lampe. Les 15 premiers kilomètres traversent de vastes champs de canne à sucre.
Le chemin se prolonge par un large sentier forestier ne présentant pas de
difficulté majeure. Il y a deux ans, je m’étais fixé comme objectif de ne pas
partir trop lentement, pour bien me placer à l’entrée du goulet menant au sommet
du volcan. Sur cette portion de plus de 3 heures d’ascension, le sentier semble
avoir été taillé à la machette ! Nous sommes en pleine forêt tropicale. Le
chemin est raide, très étroit et particulièrement glissant. Autant dire que
toute tentative de dépassement est vaine et beaucoup trop périlleuse. Il faut
donc suivre un groupe correspondant à son rythme, ni trop lent, ni trop rapide,
au risque de « passer dans le rouge » dès le début de la course…Nous progressons
en file indienne dans un silence religieux. Le souffle est court pour tous les
raiders, mais l’ascension doit se faire d’une seule traite dans ce goulet. 2.400
mètres plus haut le parcours sera moins hostile. La lueur d’une lune presque
pleine déchire les nuages pour dissiper une nuit encore bien noire (mais bel et
bien blanche pour tous les coureurs !).
Progressivement, la lumière
du jour et de timides rayons de soleil nous enveloppent comme pour nous annoncer
les contre-forts du volcan de La Fournaise. Bientôt Foc Foc et un relief plus
propice à la course. La forêt tropicale laisse place à de larges étendues de
bruyères arborescentes. Nous pouvons distinguer enfin le sommet du volcan !
L’expérience de ma course de 2002 me permet de mieux doser mes efforts, par une
meilleure connaissance du parcours. Mais de 127 km nous passons cette année à
140 km, avec un raid plus sélectif dans les 40 derniers kilomètres. Je passe
assez rapidement au point de contrôle. Je prends le temps de retirer mes
chaussures pour enlever la boue qui s’y est accumulée. Je sors le téléphone
portable et reprends ma course. Je tiens Françoise et Gilles informés de mes
impressions sur cette 1ère ascension. Qu’il est agréable de se savoir suivi à
quelques 10.000 kilomètres de mon terrain de jeu. La magie d’internet est en
train d’opérer, via le formidable site que Gilles a réalisé avec beaucoup de
générosité et de professionnalisme ! Chapeau l’ami ! Grâce à toi, de nombreux
partenaires peuvent partager mes émotions, mon engagement, mes efforts. De quoi
se sentir plus léger et c’est bien utile quand je regarde le dénivelé qu’il me
reste à négocier…
09h06 - Ravitaillement du Volcan - 31ème kilomètre - 281ème place
Dix
minutes de repos où je profite de l’ambiance bon enfant du ravitaillement. Les
bénévoles sont vraiment formidables et se mobilisent en nombre pour participer
aussi à ce grand rendez-vous. Sans eux cette grande aventure n’aurait pas lieu.
Je poursuis ma course dans l’enclos de cet énorme affaissement géologique. Le
paysage est grandiose, majestueux, lunaire. Le volcan a retrouvé son activité
ces deux derniers mois et fort heureusement il sommeille depuis 15 jours ! Je
cours au fond de
l’enclos
sur une belle ligne droite recouverte de scories d’un jaune ocre saisissant.
Courir sur le volcan reste et restera un moment d’une rare intensité. Les rayons
du soleil sont réfléchis par la roche volcanique et la chaleur qu’elle rayonne
nous fait oublier la fraîcheur et l’obscurité de cette nuit. La montée vers
l’Oratoire Sainte Thérèse se profile loin devant. Le moral est au beau fixe et,
malgré l’effort, je savoure ces instants hors du temps. L’Ile Bourbon nous
dévoile ses contours les plus majestueux et ce n’est qu’un début ! La lave
fossilisée et pétrifiée par la furie des éruptions répétées du volcan rappelle à
chaque coureur qu’il pénètre à pas feutrés dans un sanctuaire chargé d’histoire.
Les jambes se font moins lourdes sur cette portion plus roulante. Le
ravitaillement fait son effet et le rythme s’accélère. Je me suis organisé pour
prendre des photos à la volée, sans avoir à stopper ma course. Comment passer
ici sans montrer à mes parrains la beauté du parcours ?
Au terme d’une ascension,
franchissant un vaste effondrement géologique, j’atteints l’Oratoire Sainte
Thérèse à 10h10. Je surplombe l’enclave démesurée du volcan. Après un rapide
coup d’œil derrière moi, je quitte la magie d’un lieu où la compétition semble
avoir été mise entre parenthèse le temps de notre passage. Puis j’aborde la
descente vers le Piton Textor où la vigilance est de nouveau de rigueur. Les
roches volcaniques sont nombreuses sur le chemin et les appuis sont très
instables. Une chute serait dangereuse car les pierres sont très coupantes. Moi
qui ne suis pas un grand descendeur, je joue la sécurité… La route est encore
longue !
Le public est toujours aussi
présent par ses encouragements chaleureux. C’est la fête et spectateurs et
raiders, qui sont venus parfois de très loin, sont heureux de partager ces
moments aussi singuliers qu’exceptionnels…Il est des moments dans la vie où le
Bonheur s’écrit avec un grand B et il faut profiter de cette chance qui m’est
offerte de courir pour les enfants de Mécénat Chirurgie Cardiaque. C’est du
baume au cœur, de l’or en barre ! Je ne tarde pas à changer mon tee-shirt de
l’organisation de La Diagonale de Fous (obligatoire au départ et à l’arrivée,
sponsors obligent !) pour courir désormais et pour le reste de la course, aux
couleurs de Mécénat.
Je
suis fier de porter ces couleurs symboles d’espoir et de vie…
Une fois le Piton Textor
franchi, j’aborde la descente sur Mare à Boue, remonté comme une horloge ! 12 km
à travers de verts pâturages qui tranchent singulièrement avec les couleurs
chaudes du volcan. C’est aussi çà le charme de La Réunion : une île où l’on peut
s’émerveiller à chaque franchissement de col, au détour d’un chemin, d’une
cascade,…Un vrai régal pour les yeux ! Le terrain est souple et je « déroule »
car je sais que les difficultés viennent à peine de commencer. 7 heures de
course déjà. Je me sens bien et le temps n’a plus de prise sur moi.
11h40 - Mare à Boue - 50ème kilomètre - 242ème place
Le ravitaillement et la
logistique sont assurés par l’armée. Impressionnantes ces gigantesques popotes
fumantes en pleine campagne ! Je suis très heureux de pointer à la 242ème
place ! Comme en 2002, je constate qu’au nombre de chaussures qui ont été
retirées, certains sont à l’heure des comptes ! Je ne peux rester insensibles
lorsque je vois toutes ces personnes se faire soigner sous la tente de la Croix
Rouge. Il y a deux ans, en effet, au même endroit, je recensais avec beaucoup
d’appréhension mes premières ampoules après seulement 43 km de course. Fort
heureusement, je ne ressens cette année aucune douleur aux pieds. La teinture de
benjoin que j’ai appliquée consciencieusement tous les soirs un mois avant la
course a visiblement fait son effet. Les odeurs d’embrocations se mêlent aux
fumets du poulet et de la soupe que nos amis militaires nous préparent avec
beaucoup de soins. Je mange un bon repas chaud : soupe, pâtes, poulet, fromage,
une pomme et du chocolat. J’en profite pour donner de mes nouvelles à Françoise
et à Gilles et c’est un plaisir de les entendre. Quelques étirements et je
repars sans trop tarder pour essayer de passer le col du Taïbit avant la nuit.
Mare
à Boue porte bien son nom. L’humidité y est bien présente. L’ascension du
« coteau » Kerveguen sera certainement très boueuse. Après un contrôle surprise
du contenu obligatoire du sac des coureurs par des responsables de la sécurité,
j’entame la montée sur Kerveguen, une ascension qui m’a paru interminable en
2002..., les douleurs aux pieds où la méconnaissance du parcours ? Toujours
est-il que je me sens bien et que mon capital physique n’est pas trop entamé. Je
continue à courir sur la 1ère partie du coteau (2.204 mètres quand même le
coteau !). Puis le chemin devient plus raide et de plus en plus glissant au fur
et à mesure que je prends de l’altitude. Je marche rapidement. Le peloton des
coureurs est déjà plus étiré. Nous sommes plongés dans un brumisateur tropical
et la mousse présente sur les arbres est là pour nous le rappeler. Il ne
faudrait pas rester en rade par ici. La forêt est belle, mais dense et peu
hospitalière. La fraîcheur et l’humidité me poussent à monter d’une traite, sans
pause.
Je
pointe au sommet de Kerveguen dans un temps raisonnable me permettant
d’envisager une halte d’une petite heure à Cilaos (mi-parcours). Après un rapide
ravitaillement en haut de Kerveguen, j’attaque la descente tant redoutée sur
Cilaos. Une petite heure où la vigilance est de rigueur. La faute,
l’inattention, la fatigue peuvent avoir de lourdes conséquences. Un coureur de
43 ans en a fait la cruelle expérience il y a deux ans. Il y a laissé la vie et
les sauveteurs n’ont pu le ranimer.
Une
chute mortelle à un autre endroit du parcours avait également endeuillé la
course la même année. Aussi, j’aborde avec prudence cette descente. De nombreux
passages sont équipés d’échelles métalliques pour pallier les ruptures de
niveaux. Fort heureusement la météo est avec nous et nous descendons sans trop
d’humidité. Je laisse doubler les « cabris » réunionnais qui se sont
certainement entraînés de nombreuses fois sur le parcours et qui en connaissent
parfaitement les pièges. Je dois me serrer contre la paroi pour les laisser
passer, car le passage est extrêmement étroit. Pour tout amoureux de la nature,
le point de vue est superbe. Nous dominons le cirque de Cilaos, noyé dans un
écrin de verdure. Les coups d’œil que je peux jeter sont furtifs car le danger
est partout. Après le passage d’une échelle, le sentier se poursuit par des
marches inégales mais peu pentues. J’allonge un peu la foulée, mais subitement
mon pied droit roule sur une pierre placée dans l’axe du chemin. Elle était
totalement invisible dans le sens de la descente… Je parviens à maîtriser la
chute côté montagne ! La malléole externe a heurté le sol . Je sais que cette
cheville est laxe et fragile et je sais aussi qu’il me faut continuer au plus
vite pour éviter à l’hématome de se former. Je verrai à Cilaos si je peux
appliquer un peu de glace. La descente se poursuit sans nouvelle surprise, mais
« je lève un peu le pied ! ».
15h15 - mi-parcours - Cilaos - 67ème kilomètre - 270ème place
L’arrivée sur Cilaos est
toujours aussi festive. Les supporters sont très nombreux et très bruyants ! A
La Réunion, qui n’a pas dans sa famille, dans ses amis, dans son entourage, un
fou en culottes courtes qui dévale les montagnes à en perdre haleine en prenant
en plus énormément de plaisir ! J’arrive au point névralgique de la mi-parcours.
En effet, bon nombre d’abandons se font ici. Les coureurs arrivent à Cilaos à
quelques heures de la tombée de la nuit, voire en pleine nuit. S’aventurer sur
la 2ème moitié du parcours, sans avoir suffisamment récupéré, ou soigné
d’éventuelles blessures, serait de l’inconscience. Bon nombre de coureurs
traversent le cirque de Mafate à la seule lueur de leur lampe frontale et ce
cirque n’est accessible que par sentiers. L’hélicoptère reste le seul moyen de
repli, mais la nuit il ne faut pas y compter tant le relief est accidenté.
Arrivé au point de contrôle
de Cilaos, je suis interpellé par une voix qui m’est familière. Quelle
surprise
de voir Françoise qui a bravé la foule et les 400 virages montants à travers la
montagne, pour venir m’apporter un peu de réconfort ! Je suis heureux de
partager ce moment de repos avec elle. Nous discutons de cette 1ère partie de la
course, mais je devine que Françoise voit bien que je suis déjà plongé dans la
2ème partie. J’essaie de me restaurer et de manger chaud, mais je n’ai pas bien
faim. Je change complètement de tenu. Que c’est agréable ! J’en profite pour me
faire masser. Il y a deux ans, les soins que nécessitaient mes ampoules avaient
pris beaucoup de temps. La fatigue est de plus en plus présente, mais il me
reste encore du tonus. C’est avec des scrupules que je quitte Françoise après
une petite heure passée ensemble, mais je me sens bien et je ne veux pas me
refroidir. Le col du Taïbit est la prochaine difficulté. De nombreux récits
font état de coureurs en difficulté durant l’ascension, victimes d’hypoglycémie,
de déshydratation ou de gros coup de fatigue… Le dénivelé n’est que de 1.200
mètres, une formalité pour tout randonneur bien entraîné. Mais à ce stade de la
course, le problème doit être considéré autrement.
Je
plonge rapidement dans une gorge encaissée pour commencer peu de temps après la
montée vers le col . Cette ascension m’avait permis de gagner de nombreuses
places en 2002. Je m’engage assez serein. Un yaourt que je viens de manger me
reste un peu sur l’estomac. Je ne m’inquiète pas, mais je me rends bien compte
au bout d’une demie heure que la nausée me gagne et j’ai envie de vomir. Que se
passe t’il ? Tout allait si bien. De toute évidence je ne me sens pas « dans mon
assiette ». Mauvais jeu de mots étant donné les circonstances. Le rythme est
considérablement ralenti et je n’ai qu’une envie : régurgiter ce que je viens de
manger. Impossible… Je sens bien que cette montée sera plus longue que prévue.
Je comptais entrer dans le
cirque de Mafate avant la tombée de la nuit, mais plus je progresse, plus cette
idée devient irréaliste. Mes forces fondent au fur et à mesure que je gagne de
l’altitude. J’essaie de boire un thé chaud bien sucré au ravitaillement suivant,
mais je ne peux rien avaler. Je reste calé derrière un groupe d’une dixaine de
coureurs. Un seul but désormais : ne pas se faire distancer… Nous allumons nos
frontales une demie heure avant de passer le col. La descente sur Marla est en
vue. Les lampes des coureurs éclairent le chemin en dessinant un long serpent de
lumière accroché au flanc de la montagne, comme pour mieux en souligner ses
moindres contours.
20h03 - Cirque de Mafate : Marla - 80ème kilomètre - 256ème place
La descente du Taïbit a
été assez courte mais éprouvante. Je sens mes forces me lâcher petit à petit.
J’ai buté sans cesse sur des pierres tout au long du sentier escarpé qui mène à
Marla. La visibilité est très réduite depuis que la nuit nous a enveloppés. Ma
concentration s’émousse elle aussi. C’est pas bon, Normand, fais quelque chose !
Je profite de l’ambiance bon enfant du ravitaillement et je me force à manger
une soupe et un peu de chocolat. Pas facile…et pourtant je connais les
difficultés qui m’attendent. Les aborder l’estomac vide serait insensé.
Contrairement au raid de 2002, je n’ai pas encore sommeil. Je m’étire
consciencieusement, par nécessité, mais aussi pour me rassurer et mobiliser
l’énergie qu’il me reste. Toujours pas d’ampoules, c’est déjà ça ! Je décide de
ne pas m’attarder. J’ai toujours des soucis avec mon estomac, mais il faut
repartir. De toute façon, il n’a pas la parole et je ne lui laisse même pas le
choix…
Je disparais dans la nuit
avec ma soupe, mon chocolat et mes boyaux en vrac. Direction la rivière des
galets, Trois Roche et Roche Plate. J’avais prévu de rentrer dans Mafate à la
tombée de la nuit pour en ressortir au petit matin. Cet objectif doit être revu
à la baisse me semble-t’il. Je cours avec un concurrent réunionnais depuis Marla.
Il me demande si ça ne me dérange pas que nous fassions un bout de chemin
ensemble. J’accepte volontiers car il est plus prudent de ne pas faire sa course
en solitaire, surtout la nuit. En 2002 j’avais beaucoup apprécié de faire ma
course seul dans l’obscurité, dans cette ambiance calme et feutrée où les seuls
liens qui me rappelaient la course étaient mon cardio-fréquencemètre et les
postes de contrôle. 17 heures de course. Nous voici donc à deux désormais. Nous
progressons dans un dédale d’ombres chinoises. Je me sens si petit dans cette
enclave de géants ! Le chemin ne présente pas de difficulté particulière dans un
premier temps. Après une série de montagnes russes, nous voici arrivés au poste
de contrôle des Trois Roches. Je prends le temps de discuter avec mon compagnon
de route. Il s’appelle également Philippe. J’aime l’entendre parler créole, même
si certains mots m’échappent encore! On avance pas trop mal tous les deux, même
si je me rends bien compte que je puise dans mes réserves. Je ne peux rien
avaler à ce ravitaillement. Les nausées sont omniprésentes et je suis en train
d’hypothéquer mon capital énergétique. Nous ne nous attardons pas et abordons la
montée sur Roche Plate que nous avions reconnue avec Françoise quelques jours
avant le raid. Moi qui trouvais nos trois jours de randonnées dans Mafate assez
« roulants », je ne vois plus les choses du même oeil. Du reste il fait nuit
noire, c’est bien normal !
23h43 - Roche Plate -92ème kilomètre - 263ème place
Enfin un poste de la Croix
Rouge. Je fonce pour avoir un quelconque médicament pour mettre un terme
à
ces nausées. Mauvaise pioche ! Pas de remède pour ça ! Dommage, car j’aurais
volontiers troqué mon chocolat contre une petite pilule ! Apparemment j’aurai
plus de chance au contrôle de Deux Bras, après 3 – 4 heures de marche… Il va
falloir être patient. Philippe, lui, mange avec appétit. Il me ferait presque
envie, mais les quelques fruits secs que j’avale me restent déjà sur l’estomac.
Nous repartons pour l’îlet des Orangers. Le sentier est toujours très pierreux
et très joli de jour. La lueur de nos lampes ne nous offre pas le luxe de
profiter de toute cette végétation luxuriante qui nous entoure, mais nous
rappelle plutôt qu’il faut s’appliquer à mettre un pied devant l’autre. Plus de
20 heures de course. Nous marchons à un bon rythme et je me cale derrière
Philippe. C’est lui qui mène la danse depuis Roche Plate. Il va me servir de
« lièvre » jusqu’à Deux Bras. Je ne veux pas le ralentir et je m’accroche. En
abordant la descente sur la ravine des Lataniers et au bon milieu de la nuit,
nous croisons un groupe de jeunes montant en sens inverse avec une meute de
chiens ! Vision particulièrement étrange d’autant plus que ces jeunes
« hippies » avaient l’air de fuir quelque chose ?... Etonnant alors qu’ils
remontent le parcours du raid particulièrement fréquenté cette nuit là !
Philippe me dira plus tard que c’était des braconniers ! Pas vraiment discrets !
04h02 - Deux Bras (arrivée) - 104ème kilomètre - 272ème place
Arrivée un peu laborieuse.
J’ai suivi Philippe comme un robot. Je n’ai plus rien dans le ventre et je suis
vidé. Jamais une hypoglycémie n’avait eu autant raison de moi… Nous sommes au
fond d’une vallée très encaissée et il faut lever la tête très haut pour
distinguer les sommets de ces contreforts imposants. Et pourtant c’est bien là
qu’il faut monter ! 1.200 mètres de dénivelé nous contemplent ! Le passage par
Dos d’Ane est une des variantes majeures de l’édition 2004 de La Diagonale des
Fous. Voilà vingt heures que nous sommes en course et Philippe et moi décidons
de faire un bon break pour récupérer. Dormir est une option que nous ne tardons
pas à prendre car les gaillards sont un peu fatigués ! Philippe se restaure,
mais je ne peux toujours rien prendre. C’est un peu la cour des miracles ici.
Les secouristes sont à pied d’œuvre pour bander, masser, désinfecter,
réconforter… C’est fou le nombre de personnes qui boitent. J’en souris car tout
le monde est dans le même cas ! Celui qui marche, ou court, bien droit en serait
presque suspect ! Le médecin que je vois me dit qu’il ne peux rien faire et que
la meilleure solution serait de boire une soupe chaude et très salée. Je
m’exécute sans grande conviction. La durée de l’effort et les chocs répétés,
notamment en descente, ont provoqué une sorte de « constriction stomacale »
m’empêchant d’avaler quoi que ce soit. C’est paraît-il très fréquent sur des
courses aussi longues. Le sommeil sera peut-être le meilleur remède ? Je pense
faire une coupure d’un peu plus d’une heure. Philippe quant à lui compte
s’arrêter deux heures. OK vendu ! Après tout il m’a bien aidé sans le savoir et
c’est peut-être plus prudent. Nous nous installons sur des lits de camp sous une
tente de l’armée. Certains raiders sont déjà installés et le silence qui règne
laisse supposer que la course a été mise entre parenthèses le temps d’un court
sommeil. Sans bruit nous nous allongeons sous une des tentes de l’armée. Après
quelques minutes, il faut se rendre à l’évidence : le gros groupe électrogène
qui assure l’électricité de tout le campement est si bruyant qu’il sera
difficile de dormir… Nous restons allongés deux petites heures. Philippe a pu
dormir, lui !!! Après un petit déjeuner où nous tentons de faire le plein
d’énergie, nous commençons l’ascension de « Dos d’Ane » au lever du jour. Vous
avez bien dit dos d’âne !!! Soit ! Il est costaud celui là !
Après un peu moins de deux
heures de montée, nous sortons du cirque de Mafate et nous atteignons le 1 er
ravitaillement de Dos d’Ane. Durant cette ascension, nous avons croisé des
coureurs qui rebroussaient chemin pour abandonner. Nous progressons dans un
silence religieux. Un bras de force s’est engagé entre la montagne et les
« pèlerins de l’extrême ». C’est terrible, si près du but (quand même 40
kilomètres). Cette difficulté va en décourager plus d’un… Au sommet, Philippe et
moi décidons de poursuivre chacun à notre rythme. Nous nous séparons avec
beaucoup de simplicité et de chaleur. C’était très sympa de partager toute cette
traversée de Mafate. Je profite de cet instant pour téléphoner à Gilles, car je
sais qu’il a veillé toute la nuit à Paris pour tenir à jour le site. J’espère
qu’il n’est pas trop inquiet, car le portable ne passait pas dans le site
encaissé de deux Bras et je suis resté de nombreuses heures sans pouvoir le
joindre. Je suis toujours affaibli par mon manque de « carburant ». J’essaie de
manger, puis repars très vite. Je me doute bien avoir « perdu » pas mal de
places au classement pendant la pause prolongée de Deux Bras, mais est-ce là
l’essentiel ? Je savais que le détour par Dos d’Ane serait interminable. C’était
visible dans le carnet de route. L’itinéraire passe dans le centre du village
pour s’éloigner de l’arrivée à Saint Denis, en surplombant de nouveau Mafate. On
a l’impression quelque part de faire machine arrière, alors que les coureurs, à
ce stade du raid, sont pressés d’arriver ! Puis nous franchissons le col de
Roche Bouteille après plusieurs passages d’échelles. Le sentier est très étroit
et plonge ensuite sur Grand Coin. Il nous ramènera ensuite sur le centre de Dos
d’Ane. La forme revient petit à petit, mais l’estomac est encore retourné.
10h24 -Stade de Dos d’Ane -115ème kilomètre -396ème place
Arrivé au stade de Dos d’Ane,
je me renseigne sur le passage du col suivant. Après l’avoir visualisé, je suis
rassuré de constater qu’il est enfin dans la direction de Saint Denis !
L’arrivée, c’est tout droit !!! Je me suis bien étiré et le soleil me sort de
la fraîcheur de cette longue nuit de course. Le paysage est toujours aussi
grandiose. Je peux reprendre la course car le sentier est moins chaotique. Je
franchis le Piton Grand Bazard traversant une forêt très humide. Je grignote des
places et j’avoue en éprouver un certain plaisir ! Le peloton est très étiré. Je
perçois à la démarche de certains coureurs que le raid a laissé des traces… La
végétation est superbe et les parfums qui s’en dégagent sont nettement
perceptibles. Il me reste quatorze longs kilomètres avant d’atteindre la plaine
d’Affouches et entamer ensuite la descente vers Saint Denis. Je suis heureux,
car mon défi va être relevé. Bien que la vue soit dégagée, je n’arrive pas à
percevoir au loin la jonction qui arrive de La Roche Ecrite. Elle annonce aux
coureurs qu’il ne reste que deux à trois heures de course…
Une
fois le ravitaillement de la plaine d’Affouches passé, j’amorce la descente
tant attendue vers l’arrivée. Je croise de plus en plus de spectateurs, car on
peut accéder en voiture à ce point de contrôle. C’est au détour d’un virage
qu’il me semble reconnaître Patxi, un ami de La Réunion, que je n’ai pas revu
depuis plus de 3 ans. Il est venu me rejoindre depuis Saint Denis pour que nous
terminions cette course ensemble. Je suis très ému et il est loin d’imaginer,
qu’à ce stade de la course, c’était le plus beau cadeau que l’on puisse me
faire… Patxi devine que mes muscles sont de plus en plus tétanisés par l’effort
et que les derniers kilomètres sont les plus éprouvants moralement. Courir en sa
compagnie me donne des ailes. Il a déjà participé à de nombreuses éditions de ce
raid et il en connaît les moindres recoins. Nous sommes heureux de partager ces
moments empreints de tant de simplicité et de complicité. Merci Patxi ! Ton
attention me touche beaucoup et je garderai longtemps en mémoire cette arrivée à
tes côtés. Nous parlons beaucoup tout en allongeant la foulée. Ces minutes
pourraient durer des heures, je ne m’en lasserais pas. Le parcours se dessine à
travers une végétation tropicale et l’océan n’est plus très loin. J’attends
l’arrivée avec fébrilité et je savoure ces derniers kilomètres de course. Le
vent du large me caresse le visage et les bruits montants du littoral sont de
plus en plus perceptibles. Chaque coureur sort de sa bulle. Le calme,
l’émerveillement et la solitude laissent place aux applaudissements nourris des
personnes de plus en plus présentes sur le parcours. Ce grand rendez-vous
sportif est très populaire à la Réunion et suscite beaucoup d’admiration.
Les derniers kilomètres
avant l’arrivée se passent comme dans un rêve ! Une fois les dernières
difficultés passées en traversant la rocaille du « Colorado », nous apercevons
en contrebas le stade de la Redoute. Patxi en profite pour prendre les dernières
photos du raider qu’il accompagne ! Terminus. Tout le monde descend. Place à la
fête ! C’est une réelle osmose avec le public que nous vivons aux abords du
stade. Chaque coureur est acclamé et ovationné. Je suis comblé de partager un
tel enthousiasme avec les réunionnais qui ont su préserver l’authenticité de
cette superbe course, haute en couleurs et en émotions.
Le dernier virage se profile. Je pénètre dans l’enceinte
du stade. J’allonge la foulée, bien que je souhaiterais prolonger indéfiniment
ces instants magiques. QUE DU BONHEUR !!! Plus qu’un demi tour de piste et mon
défi sera relevé ! Un petit signe de la main à Françoise et Pascal, que
j’aperçois furtivement, et la ligne sera franchie. Les applaudissements du
public me portent jusqu’à l’arrivée, comme pour partager toutes ces images et
ces émotions que je garde en moi depuis le départ. Ca y est ! Je franchis la
ligne, presque étonné de devoir m’arrêter ! On ne peut arrêter une si belle
équipe ! Celle qui a cru en mon projet et qui me soutient depuis près d’un an
pour « Un Cœur à Battre » !

Je n’oublierai jamais cette belle aventure que nous
avons partagée ensemble. Je suis fier d’avoir pu tous vous réunir autour de ce
défi. Vous avez été très nombreux à me soutenir et à faire preuve d’une grande
générosité. Soyez en remerciés très chaleureusement.
Grâce à vous, des enfants vont pouvoir VIVRE TOUT
SIMPLEMENT COMME LES AUTRES ET AVEC LES AUTRES. Vous avez pu leur montrer que
vous êtes des hommes et des femmes de Cœur et qu’ensemble TOUT DEVIENT
POSSIBLE !

Merci !
Philippe
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