Coeur  Raid 2002
Coeur de raider  

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Résultats sportif : 38 h 44  -  821éme / 1.511 arrivants (539 abandons)

Je vous propose un petit récit de ma course que vous avez tous faite avec moi…

Il est exactement 18h44 en ce samedi 19 octobre 2002. Une heure et une date qui resteront à jamais gravées dans ma mémoire. La nuit vient de tomber sur le stade de La Redoute, mais le public emplit l’arène des « rescapés » de cette 10ème Diagonale des fous par ses encouragements nourris et chaleureux. Je retire délicatement mes chaussures. Il me semble que le pire reste à découvrir tant mes pieds me font souffrir. La douleur a été mon compagnon de parcours sur près de 70 kilomètres. De grosses ampoules aux talons et sous le dessous des pieds ont ralenti ma progression. Mais ce n’est plus qu’un détail désormais, tant le Bonheur , ô combien sublimé par la joie d’avoir réussi, est présent…

 Je viens tout juste de franchir la ligne d’arrivée de cette formidable course au terme de 127 kilomètres d’efforts sur les « montagnes russes » de l’Île de La Réunion. Cette épreuve aura tenu toutes ses promesses. L’engagement physique y est total. Il n’y a pas de place pour les « grandes gueules » et les « gros bras ». Seule la détermination du coureur solitaire, accroché à son opiniâtreté et chatouillé par un brin de folie, donne à ce « pèlerinage » toutes ses lettres de noblesse. Je suis heureux d’avoir enfin pu donner forme à mon projet « Un Cœur à Battre ». Jamais une arrivée de course n’aura été aussi émouvante. Cette ligne que je venais de franchir, c’est toute une équipe qui la franchissait avec moi…

4h00   vendredi 18 octobre   Stade  de Langevin

Le départ de ce 10ème Grand Raid vient d’être donné. Après une vérification des sacs de chaque participant et une attente fébrile dans le sas de départ, une horde de 2.200 coureurs est lâchée dans l’obscurité de cette mémorable nuit réunionnaise. Avec ce départ, c’est une année de préparation qui va enfin rendre son verdict.

Nous traversons les innombrables champs de canne à sucre éclairés çà et là par les lumières intenses des tracteurs sur le bord des chemins. Il est un peu plus de 4 heures du matin et les agriculteurs locaux sont nos premiers supporters dans la fraîcheur et la pénombre de cette fin de nuit tropicale.

Le chemin se fait de plus en plus raide. Le peloton des coureurs s’étire petit à petit, mais je sais que le sentier très étroit qui mène au volcan de la Fournaise, ralentira la course. Les consignes qui m’avaient été données lors de ma préparation mentionnaient ce 1er aspect tactique du raid. Il fallait donc partir ni trop vite, au risque d’épuiser toutes ses cartouches, ni trop lentement, afin d’éviter ce bouchon préjudiciable, vu l’attente qu’il peut occasionner.

Il est vrai que le sentier montant au volcan est raide et étroit ! Pour doubler, il faut être patient et funambule. Mieux vaut être sûr de son coup pour ne pas glisser sur le concurrent à dépasser, au risque de le blesser et/ou de se couvrir de ridicule…Eh oui ! j’ai vu quelques coureurs se couvrir d’humiliation et d’une belle pellicule de boue. Ils en étaient quittes pour disparaître au plus vite, emportant avec eux quelques décigrammes de plus dont ils se seraient fort bien passés. Heureusement, je me suis engagé dans ce goulet dans un temps raisonnable. Le peloton dans lequel je me suis placé avance à un bon rythme et le bouchon s’est formé après notre passage.

La nuit est bien noire malgré un beau croissant de lune masqué trop souvent par de larges bandes de nuages. Les lampes des coureurs éclairent le chemin dessinant un long serpent de lumière accroché au flanc de la montagne, mettant en valeur ses moindres contours. L’atmosphère feutrée qui se dégage de la forêt que nous traversons me procure une sensation de bien-être, malgré la difficulté du parcours. Les « fauves » ont été lâchés au terme d’innombrables heures d’entraînement, de sacrifices et de préparations diverses. Il est temps de profiter de la manne que chacun d’entre nous est venu chercher à La Réunion. Les « fous » de cette Diagonale auront d’autant plus de plaisir que leurs émotions et leurs muscles s’émousseront sur les contreforts de cette citadelle qui ne semble pas vouloir céder aux assauts de cette horde de raideurs déterminés. Oui, nous sommes tous ici épris de ce joyau tropical, perdu au beau milieu de l’Océan Indien, et nous « luttons » à armes égales pour déjouer les moindres pièges qui pourraient nous pousser à mettre un genou à terre, ou, dans le pire des cas, mettre un terme à notre croisade. La route est longue. La vigilance est de rigueur. La faute, l’inattention et la fatigue peuvent ici avoir de lourdes conséquences. La nuit ne fait qu’amplifier cette mise en garde. Chaque coureur en est conscient, mais l’ivresse de notre excitation nous fait oublier parfois l’essentiel : la prudence.

9h36   Arrivée au volcan (Foc Foc)

La mobilisation des bénévoles est impressionnante. L’ambiance aussi. Les groupes musicaux ajoutent un peu de chaleur aux rayons du soleil qui nous réchauffent petit à petit. Le ravitaillement est bien apprécié de tous les coureurs : soupes, sandwiches, laitages, fruits frais et secs,… Je me sers copieusement, étonné à chaque bouchée de l’appétit qui me tiraille et que j’ai du mal à assouvir ! Je n’ai aucun scrupule à dévorer, car la route est encore longue. « Mieux vaut tenir que courir ! ».

Après 20 minutes de pause « gastronomique », je reprends la course, encouragé par les nombreux spectateurs qui ont fait ce déplacement matinal jusqu’au volcan. Le décor ici est lunaire et grandiose. Les roches volcaniques qui diffusent la chaleur d’un soleil un peu plus vigoureux, nous font déjà oublier la fraîcheur et l’obscurité de notre ascension de cette nuit. L’Île Intense dévoile déjà ses reliefs les plus majestueux. Mieux que Tintin, j’ai pu courir sur la Lune ! Quel bonheur de fouler ce sentier dont les dégradés d’ocres à orangers donnent une coloration très particulière à notre passage. La lave fossilisée et pétrifiée par la furie des éruptions répétées du volcan, rappelle à chaque coureur qu’il pénètre à pas feutrés dans un sanctuaire chargé d’histoire.

Cette traversée, je l’avais « déjà faite » en virtuel sur les photos d’internet. Mais la réalité est presque « irréelle », magique et majestueuse. Je suis en tout point un coureur heureux et comblé. Les jambes se font moins lourdes au fur et à mesure que le chemin devient plat. La chaleur est nettement perceptible maintenant. Elle sera un fidèle compagnon jusqu’à l’ascension du col du Taïbit en fin de journée.

Je progresse jusqu’à l’oratoire Sainte Thérèse d’où je surplombe l’enclave démesurée du volcan. Ce sera la dernière image que je garderai de cet endroit hors du temps, où le chrono et l’exploit n’ont pas de prise. Puis commence la descente sur le Piton Textor où règne une ambiance de fête. Le public s’est rassemblé nombreux en haut du piton pour supporter chaque coureur en acclamant son prénom, qui, il est vrai, est marqué en gros sur notre dossard. Ça fait vraiment chaud au cœur ces encouragements personnalisés ! J’aborde la descente sur Mare à Boue, remonté comme une horloge ! Le paysage se transforme rapidement. Je me sens bien. Nous traversons de nombreux champs où paissent des troupeaux de vaches quelque peu intriguées par ce défilé continu de coureurs. Les verts pâturages tranchent singulièrement avec les couleurs chaudes du volcan. C’est ça le charme de La Réunion. Une île où l’on peut s’émerveiller à chaque virage, au passage de chaque col. Une île où l’on va de surprise en surprise sans jamais se lasser. Je me laisse porter par cette douce euphorie, appréciant chaque instant avec une égale intensité. Cette « Diagonale », je l’ai tellement rêvée, je l’ai tellement  attendue, que rien ni personne ne pourra me soustraire au bonheur de courir pour l’association que je soutiens. Je ne suis pas seul. Toutes ces personnes qui se sont engagées spontanément à mes côtés pour m’encourager, et surtout aider les enfants pris en charge par Mécénat Chirurgie Cardiaque, je ne les oublie pas. Je ne veux pas les décevoir et ils savent qu’ils peuvent compter sur moi. La route est encore longue et les difficultés ont à peine commencé !

12h25   Mare à Boue   43ème kilomètre

Important ravitaillement avec une présence remarquée de l’armée qui a convoyé les sacs relais des coureurs. L’ambiance y est décontractée, mais on lit la douleur sur certains visages. Les traits se font plus tirés, et à voir tous ces pieds prendre l’air, on devine qu’on est  à l’heure des comptes. Les odeurs d’embrocation, de pommades en tout genre et la file qui s’est formée sous la tente de la  Croix Rouge montrent à l’évidence que le parcours est vraiment particulier. Je ne tarde pas non plus à retirer mes chaussures, car je suis arrivé avec des douleurs très localisées sous les pieds et aux talons. Malgré toutes les précautions prises un mois avant la course pour tanner l’épiderme, des ampoules se sont formées dans la descente du Piton Textor. Vu la taille de celles-ci, je sors l’équipement d’urgence pour tenter de soigner et protéger les zones les plus exposées. Maintenant que ces ampoules sont présentes, il va bien falloir composer avec ! Le problème est qu’il me reste 84 kilomètres, et pas des plus faciles ! Il en faudra plus pour entamer mon moral et me faire douter.

Je repars pour l’ascension du «coteau » Kerveguen. Je n’ai que peu d’informations sur cette ascension. J’en ai davantage pour la descente ! C’est un peu ma bête noire tant les récits que j’ai pu lire ou entendre mettent en garde sur les dangers du sentier. Je verrai bien si ces propos se confirment… Nous pénétrons dans une zone boisée où le chemin devient de plus en plus raide au fur et à mesure que nous progressons. Les jambes se font plus lourdes et le souffle plus court. Mon cardio-fréquence mètre (mesure de la fréquence cardiaque) reste à un niveau raisonnable. La difficulté du moment est d’assurer ses appuis, car certains passages sont raides et particulièrement humides. Nous sommes depuis peu dans un brumisateur tropical et la mousse, bien présente sur les arbres, est là pour nous le rappeler. Il fait plus frais au fur et à mesure que nous prenons de l’altitude. Ce sentier me semble interminable. Je chute pour la 1ère fois dans un virage mal négocié et excessivement boueux. Ça va, pas de bobo ! Je suis même surpris que ma 1ère « gamelle » soit aussi tardive tant le parcours est accidenté.

J’arrive enfin en haut de Kerveguen après trois heures interminables. Je ne suis pas parvenu à doser mes efforts, par méconnaissance du parcours et un manque de repères par rapport à ma position jusqu’au sommet. Le ravitaillement avant cette fameuse descente tant redoutée sur Cilaos est vraiment le bienvenu. Après une courte pause, j’allais enfin affronter cet obstacle naturel à la fois redouté et convoité. Dès les premiers mètres, je peux évaluer l’inclinaison de la pente et l’étroitesse du sentier… Il est vrai que cette partie est raide et il ne ferait pas bon s’écarter ne serait-ce que de quelques dizaines de centimètres, au risque d’entraîner plusieurs concurrents dans sa chute. Heureusement, la météo est avec nous et nous descendons par temps sec ! Pour celui qui n’a pas d’appréhension du vide cette partie est raisonnable, si la vigilance est omniprésente et les appuis adaptés aux pièges du parcours. Pour tout amoureux de la Nature c’est un vrai régal. La vue est réellement « plongeante » sur le superbe cirque de Cilaos noyé dans un écrin de verdure. Mais les petits coups d’œil que nous pouvons jeter sont très furtifs car le danger est partout. La descente ne durera qu’une heure. Une heure d’attention soutenue, usante, mais le spectacle à l’arrivée sur Cilaos est magnifique… Les rayons du soleil donnent encore davantage de relief à la montagne. Que la nature est belle !…

17h34   Cilaos (mi-parcours)   63ème kilomètre

Françoise est là. Il me tarde de la revoir pour savoir si tout s’est bien passé pour elle depuis que je l’ai laissée au départ. Je pointe au contrôle et je ne tarde pas à lui faire part de  mes impressions sur cette 1ère moitié de la course. Après une douche bien utile (!), nous nous penchons sur mes problèmes d’ampoules qui se sont infectées et qui sont de plus en plus douloureuses. Malgré toutes les protections, la peau n’a pu résister. Les soins me font du bien, le réconfort moral et les massages aussi ! Après un rapide repas chaud, je disparais dans l’obscurité de la nuit qui vient de tomber. Il est 21 heures 10 !

La fraîcheur s’est installée et la reprise à froid est difficile pour les muscles et pour les pieds qui vont devoir me supporter encore pendant 64 kilomètres ! Le col du Taïbit est la prochaine difficulté. Là encore, de nombreux récits font état de coureurs en difficulté durant l’ascension, victimes d’hypoglycémie, de déshydratation ou de gros coup de fatigue… Le dénivelé n’est que de 1.200 mètres, une formalité pour tout randonneur bien entraîné. Mais à ce stade de la course, le problème doit être considéré autrement. J’ai pris le temps de me reposer à Cilaos et je compte sur cette petite trêve pour puiser toute l’énergie qu’il me reste, d’autant plus que le moral est resté intact ! Je m’engage, à la lumière de ma frontale, sur le sentier qui mène au Taïbit. On m’a conseillé de ne pas faire la course seul durant la nuit, pour éviter de se perdre et pour profiter d’une assistance rapprochée en cas de pépin. Les coureurs sont beaucoup plus dispersés maintenant. Je tente de rester avec un groupe de cinq personnes, mais leur rythme ne me convient pas et je double. La magie de la nuit me gagne rapidement. Tout est calme et feutré autour de moi. J’aime cette ambiance mystérieuse, presque mystique. Si la fréquence de mes pulsations cardiaques ne me rappelait pas que je suis en course, je dirais que tout ici invite à la méditation…

Je suis euphorique. Je me sens si bien que j’active le pas et prend un certain plaisir à doubler les groupes qui se sont formés devant moi. L’ascension jusqu’au sommet me paraît courte proportionnellement au dénivelé. J’aurai doublé entre 70 et 80 personnes durant la montée. Suis-je entrain de puiser de manière excessive dans mes réserves ou est-il raisonnable de profiter de ce second souffle qui me porte jusqu’à Marla ? Les heures qui vont suivre me diront si cette option était payante… Je passe rapidement le col du Taïbit car le vent qui s’y engouffre a fait chuter le thermomètre ! La descente est plus pierreuse et le halot de la frontale ne me permet pas d’apprécier tous les pièges du sentier. Les chevilles et les genoux sont très sollicités et la course n’est pas toujours possible ou trop dangereuse la nuit. Il serait ridicule de tout hypothéquer à cause d’une mauvaise chute pour gagner quelques minutes…

 23h37    Marla    74ème kilomètre

Accueil très sympa des bénévoles qui tiennent le ravitaillement. L’ambiance est très simple et très décontractée. Une soupe chaude, des yaourts, des bananes et du chocolat : le bonheur ! Je m’assois pour profiter de cette bonne humeur ambiante. Je n’ose délasser mes chaussures. Je sais ce qui mijote là-dessous et je ne peux pas faire grand-chose. La descente du Taïbit n’a pas arrangé l’état de mes pieds, tant pis. Je m’allonge sur l’herbe. A une dizaine de mètres de moi, une tente de la Croix Rouge abrite une trentaine de raideurs sur des lits de camp. Le silence qui règne laisse supposer que la course a été mise entre parenthèses pour eux, le temps d’un court sommeil. Allez Normand, faut pas mollir ! Ne t’attarde pas trop, tu vas t’endormir ! Je me lève, quelque peu refroidi. Dur dur ! Mais je retrouve très vite mon rythme de course, même si mes pieds montrent toujours de signes de faiblesse…De toute façon je ne leur laisse pas le choix.

Je poursuis la longue descente qui me mène jusqu’à la rivière des galets. En franchissant le col du Taïbit, j’ai changé de décor. Je plonge désormais dans le cirque de Mafate . Un cirque mythique ici à La Réunion, puisqu’il n’existe aucun accès par la route. Seuls moyens de communication et d’approvisionnement : les sentiers ou l’hélicoptère ! De quoi redoubler de prudence, surtout la nuit…Je suis toujours seul, mais j’apprécie cet isolement dans ce décor grandiose et majestueux. Je connais ce tronçon pour l’avoir fait de jour avec des amis il y plus d’un an. Le clair de lune laisse entrevoir les contreforts de Mafate, hauts, très hauts au-dessus de moi. Je me sens si petit dans cette enclave de géants. Les cailloux ont laissé place à un sentier de terre depuis le franchissement du gué de la rivière des galets.

Ce passage a été périlleux, car les cailloux charriés par le cyclone Dina, ont imposé aux coureurs une gymnastique peu habituelle…

Je commence la remontée sur La Nouvelle, le plus gros hameau (ilet) de Mafate. Je suis toujours fasciné par la nuit et ses mystères. Je progresse dans un dédale d’ombres chinoises. Qu’il est bon de savourer ces instants intemporels où la magie des lieux me fait oublier la course ! La Nouvelle se dévoile peu à peu. D’abord par le bruit des groupes électrogènes, qui mettent un terme à ce long silence auquel je m’étais habitué, puis par les halots des projecteurs qui illuminent les postes de contrôle et de ravitaillement.

3h22       La Nouvelle    82ème kilomètre

Les coureurs ne se bousculent pas à ce ravitaillement. Nous sommes une poignée, les bénévoles bien plus nombreux. Des guitaristes se sont regroupés autour d’un feu de camp. Même au beau milieu de la nuit, le cœur de la course bat son plein ! C’est ça le Grand Raid ! Qu’on soit au milieu de la foule ou dans les endroits les plus reculés, il y aura toujours quelqu’un pour vous soutenir. J’apprécie et je savoure, même si le sommeil commence à me gagner. Je décide de ne pas m’attarder, car mes yeux se ferment tous seuls. Une poignée de raisins secs et une soupe devraient m’aider à tenir ! Je repars, mais je suis rattrapé très vite par cette grosse fatigue ! Après 1/2 heure  de course, je capitule ! Après tout, les fous ont droit aussi à un peu de repos ! Je préfère dormir, puisque mon corps me le réclame. Je sors ma couverture de survie, après avoir cherché un endroit à peu près plat pour m’allonger. Je me suis écarté d’une bonne centaine de mètres du sentier pour ne pas être dérangé par le passage des coureurs. Je règle ma montre sur ¾ d’heure, pour attaquer l’ascension du col de Fourches avant la levée du jour. Cette trêve aura été des plus courtes, car je me souviens seulement de m’être allongé et d’avoir éteint ma frontale…puis j’ai entendu ma montre sonner. J’ai pensé sur le coup que je l’avais mal réglée, mais en regardant le cadran je me suis vite rendu compte que ma pause était déjà finie ! Dur dur le réveil ! Je me prépare à reprendre le chemin, avec la vitalité d’un escargot anémique ! Je sens la fraîcheur me gagner et mes pieds se font prier pour repartir. Même en pleine nuit, je me serais bien passé de mes ampoules !

J’atteins le col de Fourches au lever du soleil sous une épaisse brume. J’aborde la descente sur « le Bélier », pénétrant dans le dernier des trois cirques de La Réunion : Salazie. Je fais toujours ma course en solitaire et je m’émerveille plus que jamais de la beauté du paysage. J’assiste à mon 2ème et dernier lever du jour durant la course. C’est émouvant, car je sens bien que l’arrivée n’est « plus très loin » et que mon défi est sur le point d’être relevé. La descente sur Grand Ilet est un peu frustrante, car je ne peux plus courir. Mes pieds sont en feu ! La vue sur le cirque laisse entrevoir la montée tant redoutée sur la Roche Ecrite. Impressionnant ! Cette dernière ascension en a découragé plus d’un. Vu d’en bas, on dirait un mur !

8h05    Grand Ilet   97ème kilomètre

Dernier gros poste de ravitaillement. Un arrêt stratégique, car il faut repartir en bonne forme. Après 100 kilomètres de course, la plus grosse difficulté est à venir… Je prends le temps de me restaurer et de discuter avec les bénévoles, qui ont tout au long du parcours apporté leur bonne humeur, leur fraîcheur et leur dynamisme. Leurs encouragements nous font le plus grand bien. Je décide de profiter du poste de kiné et de podologie pour essayer d’arranger mes problèmes de pieds. Je fais la queue, mais l’attente est longue. Après 40 minutes, je capitule. Des coureurs peu scrupuleux passent devant les autres et j’ai l’impression de perdre mon temps. Je repars de Grand Ilet avec mes ampoules « sous le bras ». Dommage, car elles me font très mal et je sais que ça ne peut qu’empirer jusqu’à l’arrivée à St Denis.

Je repars à froid, en boitant comme un petit vieux, pour l’ascension de la Roche Ecrite. Dès les premiers virages, le sentier me met tout de suite dans l’ambiance. Le pourcentage de la pente est impressionnant. Chaque  concurrent se suit à distance régulière en une longue procession. Un bras de force s’est engagé entre la montagne et les « pèlerins de l’extrême ». Nous progressons dans un silence religieux, contraints de nous arrêter parfois pour reprendre notre souffle. C’est un véritable chemin de croix pour certains. J’apprendrai à mon arrivée qu’un hollandais expérimenté de 38 ans a trouvé la mort quelques heures après mon passage, sur ces mêmes pentes de la Roche Ecrite, en faisant une chute de 50 mètres. « A chacun son extrême », telle est la devise du Grand Raid. Même si nous nous engageons à affronter certaines difficultés, la fatalité devient vite implacable et insoutenable. Rien ne vaut la vie d’un homme, mais ce type d’accident aurait pu arriver à un marcheur du dimanche au même endroit par inattention. Comme une crise cardiaque peut venir nous cueillir au pied du lit en nous levant un matin. Le principe même de ce raid n’est pas à remettre en cause, comme les Trans-Atlantiques en multicoques. La passion se nourrit d’aventures et d’imprévus. Il revient naturellement à celui qui veut vivre intensément sa passion d’en évaluer les risques. La sagesse et la vigilance sont les seuls garde-fous qui doivent à tout moment nous rappeler à l’ordre. C’est parfois une question de secondes ou de centimètres…

Quelle est longue cette ascension ! Les muscles et les articulations sont mis à rude épreuve. Il faut s’aider des bras pour saisir des branches, des racines, tout ce qui peut traîner au bord, ou sur le chemin, pour pallier à la fatigue et aux fréquentes ruptures de niveau. Il faudrait avoir des bottes de Sept Lieux pour escalader les rochers par endroits. Les pieds arrivent à ébullition (!) et je songe même à continuer pieds nus. Le tranchant de certains rochers me rappelleront vite à l’ordre ! Les longs câbles d’acier fixés à la roche en guise de mains courantes sont en vue. Je n’étais pas le seul à les attendre ces câbles ! Pour un aspect purement pratique certes, mais surtout parce qu’ils annoncent que le passage du col n’est plus très loin… Courage, c’est la dernière montée !

Arrivé au sommet de la Roche Ecrite, le brouillard nous masquera le point de vue, mais je suis content d’y être parvenu à midi. Je peux raisonnablement espérer une arrivée avant la nuit. Le parcours devient très roulant mais je ne peux trottiner que sur de courtes distances en raison de mes ampoules. La condition physique est toujours dans le vert, même si je suis passé à l’orange sur certaines portions de la Roche Ecrite. C’est très frustrant, car je me fais doubler. On sent que les coureurs sont plus loquaces et que les difficultés que nous venons de traverser sont derrière nous. L’arrivée n’est plus qu’à 25 kilomètres.

Le parcours se dessine à travers une végétation tropicale et l’océan n’est plus très loin. Contraint de ralentir, je profite de ce décor à la Indiana Jones pour faire quelques photos. Je suis heureux, et même si j’attends l’arrivée avec fébrilité, je savoure les dernières heures qu’il me reste sans la moindre modération. Alors que je poursuis la descente sur Saint Denis, les bruits montant du littoral se font de plus en plus présents, comme pour nous rappeler que la bulle, dans laquelle chaque coureur s’est glissé durant le raid, allait bientôt s’évaporer sous la chaleur des encouragements du public. Ce week-end de fête, initié par les organisateurs du Grand Raid, a effectivement mobilisé beaucoup de monde, et quand les « fous » sont de sortie, ils se donnent en spectacle ! Les derniers kilomètres avant l’arrivée se passent comme dans un rêve ! Finis les douleurs insupportables aux pieds. Une fois les dernières difficultés passées en traversant la rocaille du « Colorado », nous apercevons en contrebas le stade de la Redoute. Terminus. Tout le monde descend. Place à la fête ! C’est une réelle osmose avec le public que nous vivons aux abords du stade. Chaque coureur est acclamé et ovationné. Je suis comblé de partager un tel enthousiasme avec les réunionnais qui ont su préserver l’authenticité de cette superbe course, haute en couleurs et en émotions.

Une dernière courbe se profile. Je pénètre dans l’enceinte du stade. J’allonge la foulée, bien que je souhaiterais prolonger indéfiniment ces instants magiques. LE BONHEUR !!! Plus que 100 mètres et mon DÉFI sera relevé ! Un petit signe de la main à Françoise, que j’aperçois furtivement, et la ligne sera franchie. Les applaudissements du public me portent jusqu’à l’arrivée, comme pour partager toutes ces images et ces émotions que je garde en moi depuis le départ. Ça y est ! Je franchis la ligne, presque étonné de devoir m’arrêter ! On ne peut arrêter une si belle équipe ! Celle qui me soutient depuis près d’un an pour « Un Cœur à Battre » !

Je n’oublierai jamais cette belle aventure que nous avons partagée ensemble. Je suis fier d’avoir pu tous vous réunir autour de ce défi. Vous avez été près de 150 à me soutenir et à faire preuve d’une grande générosité. Soyez en remerciés très chaleureusement.

Grâce à vous, des enfants vont pouvoir VIVRE COMME LES AUTRES ET AVEC LES AUTRES. Vous avez pu leur montrer, en toute simplicité, que vous êtes des hommes et des femmes de CŒUR…

     Merci !  

Philippe

Dernière modification : 04 octobre 2006

philippe@coeurderaider.org

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